Wednesday, April 2, 2008

Jules Dassin, néoréaliste américain

Gene Tierney dans le film américain de Jules Dassin, "Les Forbans de la nuit" ("Night and the City"), réalisé en 1950.

D.R. - THÉÂTRE DU TEMPLE

Gene Tierney dans le film américain de Jules Dassin, "Les Forbans de la nuit" ("Night and the City"), réalisé en 1950.

Critique

LE MONDE | 25.10.05 | 14h10 • Mis à jour le 31.03.08 | 20h52

Juste après la seconde guerre mondiale, le cinéma est allé faire un tour en ville. Les caméras sont sorties des studios et ont fait le trottoir, comme au temps des opérateurs des frères Lumière. Aux Etats-Unis, Jules Dassin, né en 1911 dans le Connecticut, fut l'un des meneurs de cette tentative d'évasion, qui faisait écho au néoréalisme italien. Trois semaines de suite, les studios parisiens Action proposent de voir en salle trois films témoignant de ce moment, restés longtemps invisibles sur grand écran : Les Forbans de la nuit (1950), La Cité sans voile (1947) et Les Démons de la liberté (1948).

Les Forbans de la nuit est le film le plus accompli. Dassin l'a tourné à Londres, alors qu'il avait dû s'éloigner des Etats-Unis, où il avait été dénoncé comme membre du Parti communiste par son collègue Edward Dmytryk. Mais Dassin peut encore tourner pour la Fox avec des vedettes hollywoodiennes, Richard Widmark et Gene Tierney.

Widmark incarne Harry Fabian, un petit escroc décrit comme "un artiste sans art" qui s'enfonce dans la toile de mensonges qu'il a lui-même tissée. Ce personnage à la frontière de la psychose propulse le film à travers les bas-fonds du Londres de l'après-guerre, avec son marché noir, ses mendiants et ses truands. Les Forbans de la nuit compte parmi les meilleurs films noirs américains. Il est conforté par une distribution impeccable : Francis L. Sullivan en patron de boîte ; Herbert Lom en promoteur de combats de catch.

En comparaison, La Cité sans voile apparaît mal dégrossi, mais pourtant passionnant. Le film, dès les premiers plans (des vues aériennes de Manhattan), revendique son réalisme. Un meurtre sordide, une enquête policière décrite avec minutie viennent conforter ces prétentions. Dassin filme très précisément la ville, les scènes de rue, mais ses efforts sont sapés par une distribution médiocre et un scénario qui met en place des clichés dont, plus tard, les séries télévisées feront un usage effréné.

Les Démons de la liberté fait preuve de la même prescience télévisuelle. Secoué par une violence affreuse, le film est situé dans un pénitencier fictif. Il oppose un détenu charismatique (Burt Lancaster) à un gardien chef sadique (Hume Cronyn). Cette fois, il s'agit de faire du pénitencier non pas une tache sur le visage de la démocratie américaine, qu'il faudrait effacer, comme dans les films sociaux de la décennie précédente, mais un microcosme de la société, miné par les mêmes contradictions, les mêmes injustices, guetté par la même tentation totalitaire.

Comme les deux autres, Les Démons de la liberté est un film de l'après-guerre : nombre de personnages ont combattu, et tous doivent faire face à la révélation de l'horreur. Le personnage du gardien chef qui prend progressivement la place du directeur représente la menace nazie.

La force du propos de Dassin, sa résolution à aller jusqu'au bout de la violence des situations font oublier les dérapages du scénario (une série un peu ridicule de retours en arrière) et l'hétérogénéité de la distribution pour conduire le film jusqu'à son inévitable conclusion, d'une brutalité choquante.


Les Forbans de la nuit, sortie le 26 octobre ; La Cité sans voile, sortie le 2 novembre et Les Démons de la liberté, sortie le 9 novembre. Cinéma Action, 23 rue des Ecoles, Paris-5e. Métro Cardinal-Lemoine. Tél. : 01-43-29-79-89.

Thomas Sotinel

Article paru dans l'édition du 26.10.05.

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